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J'irai cracher sur ton micro-ondes
30 octobre 2006

Désastre normand, par Maldoror

Niveau : difficile (si, si, vous verrez. A ce point là, c’est difficile) Coût : exorbitant (vous verrez, je vous dis) Temps de préparation : 8 jours Temps de cuisson : Aucune importance Ingrédients pour 4 personnes - 1 angine - 1 APN déjà échangé deux fois en garantie - 1 robot mixeur ayant eu la malchance de me croiser un matin, au réveil - 1 congélateur qui ne congèle plus. Sans prévenir. Un week-end ou l’on s’est absenté - 1 four en fin de vie, n’ayant que deux positions pour cuire le gigot : cru / brûlé - 1 gigot d’agneau ayant eu la malchance de croiser ma femme, enfin surtout le congélateur de ma femme, d’abord, et le four de ma femme, ensuite - 1 mec avec des idées à la con, des fois - 1 kg de pommes de terre (en réalité j’en sais rien. Je dis 1 kg, si vous pensez qu’il en faut deux, lâchez-vous. C’est quand même vous qui le mangerez, au final, ce truc) - 2 tomates - Des oignons (cf. pommes de terre). D’ailleurs, je ne suis pas sûr pour les oignons. Ça me semblerait intelligent d’en mettre, en tout cas. Mettez-en, vous me direz. - De l’emmenthal râpé - Du lait - Sel, poivre, et ce que vous voulez, selon vos goûts. Recette J-8 A faire par Madame : Rentrez de week-end. Allez chercher quelque chose dans le congélateur du cellier, et constatez qu’il ne congèle plus. Paniquez, relativement. Poussez des cris d’orfraie, suffisamment forts pour faire comprendre à l’homme que la situation est gravissime, et qu’il a légèrement intérêt à lever le cul de son putain de fauteuil pour venir déplorer et se morfondre avec vous. Expliquez l’ampleur de la catastrophe à l’homme, en plantant bien vos yeux dans les siens, pour s’assurer qu’il n’aura pas l’outrecuidance de faire semblant de se désintéresser, ne serait-ce qu’une demi seconde, de la situation. Attendez qu’il convienne, et poursuivez, en énumérant la liste des denrées qui sont irrémédiablement perdues. Quelque part, au fond de vous, ressentez tout de même un certain soulagement en repensant que c’est l’homme qui a fait le chèque à Thiriet. A faire par Monsieur : Rentrez de week-end. Allez poser votre cul dans votre putain de fauteuil, et connectez-vous. Lorsque vous entendez votre femme pousser des cris fortement désagréables, même pour un néophyte, laissez un peu monter en gamme. Attendez que cela confine à l’hystérie, puis levez-vous, d’un air tranquille et assuré, et dirigez-vous vers le lieu du sinistre. Ecoutez votre femme vous expliquer que le congélateur ne congèle plus, que c’est une catastrophe, qu’il est plein de bouffe, qu’elle a fait le plein il y a trois jours, que c’est 50 euros foutus en l’air, qu’il ne manquait plus que ça, qu’elle en a marre, etc.. Convenez, globalement, de la pertinence de toutes ses remarques. Pestez avec elle contre le sort, en général, et le congélateur, en particulier. Dites que vous voulez bien l’aider à ramener ce qu’il y a dedans, pour le répartir dans les autres congélateurs. Ne dites pas que vous savez pertinemment que, tout étant décongelé, votre proposition n’est destinée qu’à rejoindre le plus rapidement possible votre fauteuil. En retournant à la maison, écoutez votre femme énumérer les denrées qui sont irrémédiablement perdues. Faites quand même un peu la gueule, parce que c’est vous qui avez fait le chèque à Thiriet. A faire par les deux : Au milieu des denrées, constatez qu’il y a un gigot de 2,5 kg, destiné à être cuit pour l’anniversaire de votre fille. Choisissez, s’il ne fallait sauver qu’une seule denrée, de sauver celle-ci. Décidez de le cuire, pour faire un gigot de 7 heures (ou gigot à la cuillère), et invitez votre frère, accompagné bien entendu de votre belle-sœur et de votre nièce, a venir engloutir le gigot avec vous le plus rapidement possible. Régalez-vous à l’avance, en vous léchant légèrement les babines. C’est vraiment excellent, le gigot de 7 heures. Mettez-vous d’accord pour le manger à J-6. J-7 Ratez la cuisson du gigot. Vous n’avez rien à faire, hormis utiliser NOTRE four. Si ça vous intéresse, je suis vendeur. (Il faudra aussi un tout petit peu oublier de l’arroser. D’expérience, je peux vous dire que l’homme est le mieux placé pour réaliser cette phase délicate). Lorsque le gigot a rétréci d’environ les deux tiers, que les oignons dans le fond de la lèchefrite sont franchement cramés, et à peine identifiables, et qu’une vraie odeur de viande brûlée règne dans la maison, votre gigot est raté. Réservez, en le laissant dans le four. J-6 Faîtes une raclette à votre frère, parce qu’il est venu quand même, évidemment. Montrez-lui le gigot. Admirez sa capacité à ne jamais mettre en doute vos compétences culinaires, en rejetant avec vous toute la responsabilité du fiasco sur le four, alors même qu’il se dit qu’il faut quand même être une grosse burne pour rater un gigot. J-5 Monsieur, levez-vous, comme d’habitude, c'est-à-dire avec la tête à l’envers et la bouche vaguement pâteuse. Allez donner un gâteau à votre fille, faites tomber le bol du mixeur posé en équilibre précaire sur l’évier. Constatez que la chute a brisé un morceau de plastique, qui ne vous semble pas important, comme ça, et qu’au demeurant, cela ne nuit pas, à priori, à l’utilisation du robot. Jetez le morceau de plastique cassé, remettez le bol en place, et faites celui qu’était pas là quand ça s’est fait. Là aussi, réservez. L’avenir se construit. J-4 Rien. Repos. Bouffez des flam’s, il y en avait huit au congélateur. J-3 Madame : Soyez téméraire, et goûtez un morceau du gigot que vous vous apprêtiez à jeter à la poubelle. Constatez qu’il a goût de gigot trop cuit, et exclamez-vous : « Mais en fait il est pas si mal ce gigot. Dommage qu’il soit trop cuit ». Monsieur : Dites, comme ça, l’air de rien : « Tiens, et si on faisait un hachis avec le gigot ? » (qui est dehors depuis J-4, sur la fenêtre, limite mangé par les fourmis. Sauf que les fourmis ne sont pas omnivores à ce point). « Ça éviterait de le gâcher. » C’est ce que j’appelle une idée à la con. J Le grand jour. Le destin frappe à la porte. On va le faire, ce hachis au gigot. Prenez le gigot, qui a fini par atterrir dans le réfrigérateur, et coupez-le en morceaux grossiers, comme ça : 1 Dites à votre femme « attends, je prend une photo des morceaux dans le bol », et prenez la photo, avec votre APN (dont l’écran déconne toujours. Je vous conseille HP, comme marque, si vous voulez avoir un APN neuf tous les trois mois) 2 Lorsque la photo est prise, reposez l’APN, le temps que votre femme mixe tout ça. Regardez votre femme tourner le bouton, écoutez le silence du moteur qui ne se met pas en marche, repensez au bout de plastique cassé, et décidez que c’est le moment de sortir de la cuisine pour aller vérifier qu’il reste suffisamment de bois dans la cheminée. Lorsque votre femme aura désolidarisé le bol, et constaté qu’il est cassé, revenez dans la cuisine, admettez franchement votre responsabilité pleine et entière, et expliquez ce qui s’est passé, en précisant que vous ne pensiez pas que c’était important. Prenez l’air vaguement penaud lorsque votre femme vous explique calmement que c’est la sécurité, et que ça ne marche plus, et qu’elle va se farcir le mixage au petit mixeur à main, et que c’est pas fini, et que si elle avait su elle aurait fait autre chose, et qu’elle est bonne pour racheter un bol de mixeur. Souriez gentiment, de ce sourire qui a fait qu’un jour, elle est venue avec vous, se coucher dans un lit pour y faire des enfants. Gardez ce sourire au moins trois minutes. Il faut bien ça. En regardant le mixeur de plus près, constatez qu’il y a une fente, prévue pour que le morceau de plastique en question s’immisce. Ceci ayant pour action, d’une part de solidariser le bol avec le mixeur, et d’autre part, du coup, de libérer la sécurité. Qui est en fait une simple languette en plastique, sur laquelle il suffit d’appuyer pour que le contact se fasse. Voilà, vous avez eu la même idée que moi. Prenez une cuillère, appuyez sur la languette en plastique, et dites à votre femme de faire un essai. Constatez avec soulagement que ça marche, et abandonnez ce sourire idiot que vous avez depuis tout à l’heure. Dites à votre femme : « Attends, je vais prendre une photo de la cuillère sur le mixeur, pour la recette. » Prenez votre APN, cadrez, appuyez. Constatez que ça ne marche pas. Réessayez. Plusieurs fois. Au bout d’environ dix minutes, durant lesquelles vous aurez branché l’appareil sur secteur, tenté de l’allumer, de l’éteindre, de prendre une photo, tout ceci en vain, réprimez votre furieuse envie de le balancer dans le mixeur, et passez la main à votre femme, qui vous aura dit que, bon, si tu peux pas la faire la recette, c’est peut-être pas grave, si ? Effectivement, il arrive un moment où plus rien n’est vraiment grave. Mais tout de même. Lorsque votre femme sera parvenue à faire fonctionner l’appareil, vous faisant illico passer pour un incompétent doublé d’un malchanceux, faites enfin la photo, comme ça : 3 Parallèlement à ces opérations délicates et pénibles, vous aurez mis des patates à cuire. Coupées en morceaux. Bon des patates qui cuisent, ça donne ça, je mets juste la photo parce que c’est joli, ce jaune. 4 Lorsque toute la viande est mixée, et que les patates sont cuites, faites la purée. A la fourchette, s’il vous plaît. La purée au presse-légumes, c’est pour les Parisiens rhetorie_du_chaos (Et, de toute façon, j’ai cassé le presse-légumes la semaine dernière.) Et d’ailleurs, puisqu’il y en a qui nous lisent, voilà, on fait comme ça : 6 7 Il faut écraser les pommes de terre, avec le dos de la fourchette. Jusqu’à ce qu’elles soient toutes écrasées. Des fois il reste des morceaux un peu plus gros. C’est normal, et c’est comme ça que c’est bon. Puis on ajoute du lait, du sel, du poivre : 8 Procédez alors comme suit : - Versez une couche de patates dans un plat. - Versez la viande hachée - Ajoutez des oignons (je suis sûr que c’est très bon comme ça) - Ajoutez une ou deux tomates, coupées en rondelles (ça rend de l’eau, ça évite que le hachis soit sec. Et puis c’est bon, les tomates) - Versez le restant de patates. Pas comme ça, donc : 5 9 10 Oui, alors là j’ai franchement poussé la saturation. Si votre hachis a cette couleur-là, jetez-le. Je vous rappelle qu’il vous reste un tas de flam’s à bouffer. Donc, pas comme ça, parce que nous, on n’a pas mis la première couche de purée, ni mis de tomates (et ni d’oignons. Je suis pourtant certain…) entre la viande et la dernière couche de purée. Constant dans l’erreur, et serein face au désastre annoncé, étalez consciencieusement une belle couche de gruyère par-dessus la purée : 11 Voilà. Il ne reste plus qu’à enfourner, thermostat « ça se démerde » (mon four est toujours à vendre). Quand c’est bien cuit, bien doré, appétissant en plein, ça doit ressembler à ça : 12 Maintenant, le plus délicat va être d’avoir attrapé, dans l’intervalle, une angine. Ça se fait tout seul, il suffit de rester tard le soir, à fumer de nombreuses cigarettes, à la fenêtre. En buvant de l’alcool. Le hachis, sans la tomate, est très sec. Insupportablement sec. Et le gruyère, au dessus, est grillé. Très. Tout ça vous picote délicieusement la gorge, c’est un vrai bonheur. Voilà. Vous goûterez un peu le hachis, pour être tout de même un peu poli, et respecter le travail de la ménagère. Le reste ira à la poubelle, et ce pauvre gigot aura enfin, après toutes les tortures que vous lui aurez fait subir, le juste repos éternel qu’il mérite. Post Scriptum J’ai lu, émises par un quidam que je ne nommerai pas, certaines réserves, relativement à l’opportunité de développer autant de lignes pour une simple recette de tartines aux fromages. Le triste individu, auteur de cette petite bassesse ordinaire, ignore probablement que ce n’est pas le sujet qui importe, mais la façon de le traiter. J’ignore la raison qui le fit me prendre pour cible, et ne veux point la connaître. Toi, oui toi qui me lis, et qui te reconnais, honte sur toi et sur ta descendance. Tu n’enfanteras que des filles, qui seront frigides. L’aînée se mariera avec un avocat, elle sera très malheureuse, elle votera extrême-droite et vendra ses charmes à la porte Maillot pour se payer sa cocaïne. La cadette fera la Star Academy, elle couchera avec Nikos Aliagas et sera éliminée au troisième tour. Elle pleurera beaucoup, en direct, et tout le monde la trouvera ridicule. Tes amis t’en parleront, en te donnant des grandes claques dans le dos, longtemps, au bistrot, ou tu iras noyer ta honte dans le mauvais alcool et entre les seins des rombières. Tu mourras, un matin, ivre et à demi-nu, grelottant sur un trottoir. Les passants feront un écart, car tu sentiras mauvais. Tu auras le temps de repenser à tes filles, devenues folles, à ta lamentable et pitoyable existence. Et tu repenseras à moi, juste avant d’écarquiller les yeux, immensément, et de sentir ce grand « CLAC !!! » dans ta poitrine. La douleur, le rouge. Le noir.
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Commentaires
U
Magnifique en fait.<br /> Ca me parle beaucoup, vraiment, terriblement, surtout le congel, son cul dans le putain de fauteuil, son sourire de mari trop heureux, sa compassion forcée, son film à ne pas râter, les 16 yogurts à bouffer, sa maladresse...<br /> Merci, un vrai moment de bonheur.
S
Je ne dirai qu'un mot : "Génial !!" Tant au niveau de l'article que des commentaires associés et bien pensés pour la plupart !<br /> <br /> Bonne continuation ! Et mes amitiés à votre four ! ;o) (il doit être un cousin du mien...)
M
"frémir" d'horreur non "frémit"…
M
Cher Maldoror,<br /> <br /> Dans la famille Ducasse, j'ai toujours préféré Isidore à Alain (encore que la recette de purée à l'huile d'olive que propose ce dernier ne soit pas pour me déplaire). Votre somptueux désastre normand ne fait que me conforter dans ce choix. <br /> Et ce même si je réalise (et croyez bien qu'il m'en coûte de devoir l'admettre tant je croyais m'être assuré une solide réputation d'Attila des fourneaux) qu'en matière d'entreprise culinaire calamiteuse, il me reste beaucoup à apprendre… et entreprendre. Il n'importe, tout comme votre célèbre homonyme lors de son frai avec une femelle requin, je me suis sentie bien moins seule à la lecture de cette colossale recette que j'aurais aimé pouvoir revendiquer. <br /> Cela dit, je nourris, à défaut des êtres qui me sont chers, quelque espoir : on m'a promis un cuissot de sanglier… Qui sait ? Peut-être parviendrai-je à en faire quelque Berezina culinaire (mais le Génie sera-t-il au rendez-vous ?), quelque Diên Biên Phu de la gastronomie (encore que je ne souhaite pas que mes hôtes en soient réduits à finir le nez dans une cuvette)susceptible d'approcher le sublime de votre grandiose coproduction… Car c'est bel et bien une remarquable coproduction, ce qui semble avoir totalement échappé à Shagada, sur le sexe de qui je ne me hasarderai point à quelque pronostic que ce soit. Il en va pour moi des anges comme des cons : ils n'ont pas de sexe, et c'est bien là le problème. Enfin, c'est surtout le leur. Aussi ne peut-on guère leur tenir grief d'ignorer tout de ces complicités entre hommes et femmes qui autorisent, entre gens qui s'aiment et se comprennent et sont lucides l'un sur l'autre, toutes les ironies. Cette indulgence, notez bien, ne va pas jusqu'à la compassion. J'ai déjà mes pauvres, et étant d'un naturel assez délicat, j'ai quelque peine à admettre que mes pauvres soient de surcroît de pauvres cons. Tout au plus, par respect pour A. Cohen, puis-je me borner à ne point "haïr mes frères en la mort" (mais bordel que c'est difficile, parfois !), car nous mourrons tous, c'est un fait. Tous, nous devrons, un jour ou l'autre, "prendre le temps de mourir" comme disait une chère vieille tatie à moi. Bien peu, en revanche, savent prendre encore le temps de vivre. Votre épouse et vous êtes, je crois, de ces merveilleux fous de vie, bien plus précieux encore à mes yeux que les peintres fous de peinture. Celui qui sait faire naître du rire en narrant d'une plume alerte un petit séisme domestique a pour moi plus de valeur que celui qui inspire la sérénité zen en peignant le mont Fuji ou que celui qui fait frémit d'horreur et d'indignation en peignant Guernica. A chacun ses valeurs. <br /> Quoi qu'il en soit, cher Maldoror, je me permets de vous dire, à vous et votre épouse, en ma langue, entre "frères dans la mort" comme au nom de la grande fraternité qui unit ceux qui croient toujours possible de réparer un désastre culinaire : Che vo' campeti cent'anni. Ce qui en joli français pourrait se traduire à peu près par : Puissiez-vous vivre cent ans, dans la joie et la prospérité !
M
Chère Madame,<br /> <br /> Ma femme a beaucoup ri en lisant la recette. Il est vrai qu'en ce moment, elle voit un peu la vie en rose, tant il est vrai qu'elle nous sourit, la vie.<br /> <br /> Je ne sais comment vous mourrez, mais vous mourrez. Alors profitez-en.<br /> <br /> Cordialement.
J'irai cracher sur ton micro-ondes
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